Le 27 mai 2006
Cher Patrick,
Je t'ai téléphoné un dimanche matin, il y a 15 jours, et je t'ai laissé un message. Je te proposais de nous rencontrer pour discuter une sorte de "paix des braves" destinée à sauver l'avenir de "Tout le
monde en parle". Tu ne m'as pas rappelé. Le week-end dernier à Cannes, je n'ai pas pu te voir non plus, même à la soirée France Télévisions. Je n'étais pas invité. Alors, j'ai décidé de t'écrire.
D'abord pour te dire que j'ai bien reçu vendredi dernier la lettre recommandée de France 2 dans laquelle le directeur général, Philippe Baudillon, m'annonce officiellement que tu considères désormais Paris Première comme une chaîne "généraliste hertzienne" au même titre que TF1, M6 ou Canal
+. Mon contrat avec France 2 m'interdisant de travailler sur d'autres chaînes "généralistes hertziennes", ton appréciation te conduira donc dans les jours qui viennent à ne pas le renouveler, bref, à supprimer "Tout le monde en parle".
Ce contrat prend en compte le fait que lorsque j'ai commencé "Tout le monde en parle", je travaillais déjà sur Paris Première où je présentais "Rive Droite / Rive Gauche". (Je ne suis donc pas un animateur de France 2 qui est allé sur Paris Première, mais un animateur de Paris Première qui
est allé sur France 2). Ce contrat m'autorise à travailler avec des chaînes "thématiques du câble et du satellite". Paris Première est désormais diffusée sur la TNT payante. Cela en fait-il pour autant, comme tu le dis, une chaîne "généraliste hertzienne" dans l'acception du terme usité à
l'époque où j'ai signé mon premier contrat "Tout le monde en parle" renouvelé à l'identique depuis 8 ans ? Cela en fait-il pour autant une chaîne concurrente de France 2 pour la saison prochaine ? Je ne le crois pas. D'autant plus que mon émission pour Paris Première, "93, Faubourg Saint
Honoré" y est diffusée en crypté, donc payante, et sa réception ne concerne que quelques milliers de téléspectateurs potentiels. Mais, c'est comme ça, tu en fais un principe intangible : "93, Faubourg" sur Paris Première, c'est comme "93, Faubourg" sur TF1 ! Bien sûr, cette interprétation
terminologique de l'alinéa 7.1 de mon contrat pourrait être arbitrée par les tribunaux, mais il n'y aura pas de procès de ma part. Le seul procès dans cette affaire sera celui que te feront les téléspectateurs le premier samedi de septembre à 23 heures 15.
Le problème dans toute cette histoire, c'est que l'exclusivité totale des animateurs du Service Public ne figurait pas dans ton audition devant le CSA lors de ton élection à la présidence.
Le problème, c'est que ni toi ni France 2 ne m'avez averti oralement ou par écrit de ce que tu considérais désormais Paris Première comme une chaîne "généraliste hertzienne". Le problème,
c'est que France 2 ne m'en avait pas plus averti lors de la signature du dernier contrat alors que Paris Première était déjà une chaîne de la TNT. Comment imaginer que France 2 n'ait rien dit pendant plus d'un an si je violais chaque semaine mon contrat ?
Le problème, c'est surtout qu'avant de re-signer mon contrat avec Paris Première, j'en ai averti Philippe Baudillon, le directeur général de France 2, qui ne m'a pas dit de ne pas le faire.
Bref, le problème, c'est que tu changes la règle au milieu du match. Alors, bien sûr, je pourrais rompre mon contrat avec Paris Première. C'est ce que France Télévisions me conseille de
faire. Le budget de "Tout le monde en parle" étant 6 fois supérieur à celui de "93, Faubourg Saint Honoré", France Télévisions comprend mal que je ne le fasse pas. Mais je n'ai pas pour habitude de renier ma signature. Et pourquoi trahirais-je Paris Première ? En 1995, quand l'un de tes
prédécesseurs m'avait déjà viré de France 2, Paris Première m'a donné du travail. J'y ai fait "Paris Dernière", puis "Rive Droite / Rive Gauche" et "93, Faubourg". (Je suis revenu sur France 2 en 1998 pour animer "Tout le monde en parle", ce qui explique mon exclusivité "hertzienne" et pas
"totale" avec France 2). Quand j'ai appris, par hasard, il y a un mois que tu considérais Paris Première comme une chaîne "généraliste hertzienne", j'avais donc déjà re-signé mon contrat
avec Paris Première. J'ai donc proposé à France 2 que cette "double appartenance" soit prolongée d'une saison, ce qui aurait sauvé "Tout le monde en parle". J'étais prêt à m'engager par écrit avec France 2 pour une exclusivité "totale" dès la saison suivante. Tu as refusé. Rien n'y a fait.
Malgré l'insistance des cadres de France 2. Tu as préféré engager un remplaçant. Ta première grande décision de président du Service Public aura donc été de supprimer "Tout le monde ne
parle". Bravo. C'est pourtant l'émission qui incarne me semble-t-il le mieux la ligne éditoriale que tu as fixé lors de ton élection : "rendre l'intelligence intelligible". "Tout le monde en parle", l'émission qui vend le plus de livres en France est aussi un succès populaire. "Tout le monde
en parle", l'émission qui programme Sirin Ebadi, Elie Wiesel ou Philippe De Gaulle le samedi soir face à 4 séries américaines bien trash sur TF1 termine en effet une saison exceptionnelle à 27% de parts de marché, soit 8 points de plus que la moyenne de la chaîne. C'est un miracle que tu
fusilles. Ce miracle, c'est avant tout du travail. Celui d'une équipe professionnelle et motivée qui en échange de ses bons et loyaux services ira pointer aux Assedic. Et le mien, au rythme
de mes journées de 14 heures et de mes nuits blanches. Pour fournir une émission de 3h, alors que le contrat n'en exige que 2. Mais, rassure-toi, Patrick, mes origines sociales m'ont fait
côtoyer des travailleurs au chômage, et je ne vais pas faire le coup du nouveau pauvre. Je ne vais pas aller me plaindre de mon sort dans tous les médias du pays. Cette lettre suffira à expliquer l'incroyable dysfonctionnement de tes services et cette non moins incroyable rigidité. Je sais
depuis longtemps qu'aucun animateur n'est propriétaire de sa case. Je vais aller chercher du travail ailleurs. Sur mon CV, il y a la liste des émissions que j'ai produites et/ou animées pour France 2 : "Lunettes Noires pour Nuits Blanches", "Double Jeu", "Frou Frou", "Tout le monde en
parle", "On a tout essayé"… Tout le mal que je te souhaite, c'est que mon remplaçant en fasse autant pour la chaîne. Bonne chance, Patrick, à toi et à France Télévisions.
Thierry Ardisson
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