EN TAXI AVEC...

La Plaine Saint-Denis, jeudi, minuit et demi. L’homme qui me salue courtoisement à la sortie du studio de « Tout le monde en parle » me fait l’effet d’un torero sortant de l’arène. Normal. On ne se libère pas si facilement de la décharge d’adrénaline déclenchée par quatre heures trente d’enregistrement dans les conditions du direct. Le verbe est rapide, le pas aussi qui nous entraîne à grandes enjambées jusqu’au taxi à travers le dédale de couloirs. Il a beau être souriant, Thierry Ardisson s’avoue mécontent : « Ce soir, on a eu des problèmes de son... De toute façon, huit fois sur dix, je suis mécontent. Comment être exigeant envers les autres si on ne commence pas par l’être avec soi-même ? » Il se plie sans sourciller à tous les souhaits du photographe. Tourne et retourne autour du taxi, demande en plaisantant à être beau sur la photo, réminiscence de vieux complexes du temps où il était plus rond. Attentif, disponible, on le sent surtout serein, apaisé, à des années-lumière du personnage « provoc » qu’il a véhiculé pendant si longtemps. Il confesse : « Pendant des années, j’étais malheureux, donc agressif. Le genre roquet tête à claques, insolent, subversif. Puis, avec le temps, j’ai dévoilé mes rondeurs, mon côté vanneur rigolard. Mon Graal désormais : être sympa et informatif. » Nous montons dans le taxi. Il enchaîne, très vite : « Tu sais, quand l’émission commence, contrairement aux apparences, elle est complètement écrite. Tout le gros du boulot est derrière moi. En quelque sorte, j’arrive sur le plateau pour m’amuser. » Ecrire, préparer ses fiches, ce bourreau du travail bien fait y a passé toute la nuit ou presque selon un rituel immuable : « Tiens, pour l’émission de ce soir, j’avais concocté exactement trois cent trente-sept fiches à l’intention de mes dix invités. » Des fiches qu’il a préparées cette nuit de 22 heures à
2 heures du matin, puis à nouveau aujourd’hui entre 7 h 30 et 17 heures. « Enfermé chez moi avec juste quinze minutes pour bouffer. Quand j’arrive au studio, je me fais masser trente minutes tellement j’ai la nuque ankylosée d’avoir bossé si longtemps sur les fiches. » Je lui dis que dans « Tout le monde en parle », tout le monde a l’air intelligent. Ma remarque le fait rire : « Tu ne peux pas savoir le nombre d’invités qui me disent : "Je ne peux pas venir, je ne suis pas assez fort." Je leur réponds : "Attendez ! c’est le montage qui fait tout ; il donne un rythme surnaturel. Personne ne peut être aussi brillant spontanément !" » Il allume une cigarette et enchaîne fébrilement, n’affichant toujours aucun signe de fatigue : « Le montage, tu ne peux pas imaginer ce que c’est. Réduire, du jeudi à minuit au samedi matin, quatre heures trente d’émission, parfois plus, en deux heures trente. Ne laisser s’installer aucun temps mort. Transformer l’interview en spectacle. Je suis mon premier spectateur. Dès que je m’ennuie, je coupe ! » Le montage, seconde nuit blanche en perspective. Du vendredi à 12 heures au samedi à 9 heures non-stop, soit une remise de copie quelques heures seulement avant la diffusion du samedi soir. Un montage qu’il réalise en duo avec Catherine Barma, sa coproductrice, son amie, sa complice. « C’est elle qui gère la boutique, constitue les plateaux à la manière d’un dîner en ville. D’ailleurs, après chaque enregistrement, je dîne avec elle. » Cette nuit, il ne déroge pas à la règle et demande au taxi de l’arrêter au Costes, où une table leur est réservée. Il prend congé, s’inquiète des informations qui pourraient me manquer, me téléphonera le lendemain pour rectifier un point de détail. Rigueur. Respect. Précision. Les trois ingrédients de la méthode Ardisson. Comme il gravit les marches du Costes, le chauffeur s’exclame : « Eh ! bien ça alors, moi qui ne pouvais pas le supporter, il est génial ce type, pas du tout comme avant ; il m’a scié ! Quand je vais dire ça à ma femme ! Tiens, samedi, c’est décidé. Pour la première fois, on va regarder l’émission ! »

Caroline Rochmann
pour "Madame Figaro"
Date de la course : 14-06-2001

 (photo : le nom de l'auteur nous manque)

 

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