Thierry Ardisson dans le Nouvel Observateur du 23/10/2003,
rubrique TéléCinéObs, article de Philippe Vecchi

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Dîner de têtes

Très récemment griffé dans ces mêmes colonnes pour des propos par nous qualifiés de « misogynes » dans « Tout le monde en parle » – bug sur lequel il a été collatéralement décidé de ne pas s’appesantir davantage –, Thierry Ardisson a toujours eu l'aptitude d’aimanter, puis d’intégrer la contestation.  Pour avoir sermonné ou claqué le beignet de pas mal de ses « chers amis, chers ennemis » du show-biz et de sa périphérie, c’est bien la moindre des choses que d’essuyer à l’occasion un coup de machine à baffes critique. Tout juste éprouve-t-il un mal de chien à avaler qu’on érafle « Tout le monde en parle » (« qui tourne autour de 80 % de part de marché »), émission dans un premier temps élégante et fluide, en passe d’être endimanchée.

maître d’oeuvre du talk-show hexagonal, Ardisson est donc aussi peu intouchable que ceux dont il règle régulièrement le sort par voie de presse ou télévisuelle, ces concurrents ou artistes qu’en retour de smashs occasionnels, il cloue aux murs du paf. Mais avec un peu moins d’ardeur belliqueuse qu’auparavant : à force de développer sa société de production Ardisson et Lumières, transformée depuis cinq ans en performante « société de programmes », l’animateur de 54 ans a fini par troquer le fusil à pompe contre le sarcasme policé, le costard du provo killer contre les habits du dandy Brummel (1778-1840), en arbitre à gimmicks des élégances people. Comme l’écrivait Barbey d’Aurevilly au sujet précurseur de cet « autocrate de la fashion », ce que cherche Ardisson dans le monde de la télévision, c’est à faire juste ce qu’il faut de bruit pour propager sa vision créative (et rentable) des événements du jour : « Le bruit, cette chose légère, est comme les femmes : il vient quand on a l’air de fuir. Dans ce diable de monde, peut-être que le meilleur moyen de se faire du succès serait d’organiser des indiscrétions. » Parlons-en, puisque c’est ad hoc le propos de sa nouvelle émission hebdomadaire, qui, sur

La nouvelle émission d’Ardisson est formellement
l’anti-« Loft », la prometteuse sensation qu’il est encore possible de faire du cinéma d’appartement plutôt que de la télévision de surveillance.

« On est dans un schéma classique de talk-show assis autour d’une table, comme ça se pratique depuis 210 ans, explique-t-il ; le hic indépassable, c’est que le de gré d’intérêt fluctue en fonction des invités, et qu’il s’agit de rendre la pilule promo la plus digeste possible. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Qu’il faut que je jette ces jeunes actrices françaises qui viennent vendre leur film – plutôt mal d’ailleurs –, tout en refusant de parler de quoi que ce soit d’autre, et sans le moindre humour ? Je vous réponds aussi par les chiffres d’audience : ça me va bien, la chaîne est contente, et ce n’est pas parce que certains me font chier à m’expliquer que la télé en direct c’est mieux que de passer vingt heures au montage que je vais changer d’optique. Il y a ceux qui découpent les émissions après le tournage pour arranger tout le monde et ceux qui coupent sans arrêt la parole pendant les interviews. 

Comme de juste, depuis qu'il sévit en              

Paris Première, prend la relève de « Rive droite rive gauche ». Tentative réussie d’instaurer le dîner en ville comme une valeur culturelle ajoutée, « 93, Faubourg Saint-Honoré » est ce bonus de déconnade instruite et mauvaise langue qui, chaque mardi, transforme en studio télé le domicile personnel de Thierry Ardisson. Avec une poignée chic d’invités attablés et une douzaine de caméras braquées partout où la lumière flotte comme dans des stock-shots de « Barry Lyndon », c’est formellement l’anti-« Loft », la prometteuse sensation qu’il est encore possible de faire du cinéma d’appartement plutôt que de la télévision de surveillance. « 98, Faubourg Saint-Honoré » est à peine lancé que l'affaire s’annonce alléchante, comme un chapitre inédit de « l’Art de la conversation » sur le pouvoir des vrais dialogues modernes, ceux qui font et défont le monde, dans la trash turbulence des arrière-pensées.

  Philippe Vecchi

12   |  TéléCinéObs

 

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