Ce n'est pas compliqué, le numéro du téléphone qu’elle a sur elle se termine par 6000 depuis des années et des années. Béatrice a des moyens simples de n’être pas compliquée. Béatrice, mon amie. Ma soeur en plus. Elle rit quand elle m’a. Mon numéro est plein de huit mais ce n’est pas ça qui la met de bonne humeur. Elle l’est structurellement. Elle commence par rire, ensuite elle s’annonce. Elle dit « ouais » et puis sa phrase ne continue pas. Comme si quelqu’un qui serait resté un petit frère l’avait chatouillée là où ça fait rire. Quand on appuie fort en dessous des côtes. Le soir, un peu tard, est son heure. Le matin, un peu tôt, est aussi son heure. Béatrice est de toutes les heures. Parfois, avant une nuit de travail, elle fait mon numéro plein de huit, elle dit « ouais », elle rit et elle trouve le temps d’être une amie. J’entends Gaston qui n’est pas couché. J’entends les filles. « Mon lit, c'est mon panier de chat. » J’ai toujours entendu Béatrice dire ça et dire aussi qu’elle n’aimait pas qu’on dise « Béa ». Béatrice est simple mais pas de cette façon-là. Elle

a su avoir raison, elle n’était même pas grande. Ce qu’elle voulait, ce qu’elle ferait. Elle habite la Normandie exprès. Parce que ce n’est pas la porte à côté. Elle travaille à Paris exprès. Elle a eu trois enfants exprès. Et elle est mariée à Thierry exprès. La seule chose qu’elle n’ait pas faite exprès, c’est de réussir à ce point. Aujourd’hui, elle est l’illustratrice sonore qu’on emmène à Tokyo pour une nuit, que la télévision française et les journaux voudraient. Béatrice et ses huit cents kilomètres par semaine. Son Paris-Normandie, ses allers-retours. « Au fond, le seul endroit vraiment stable dans ma vie, c’est ma voiture. » Elle commence à savoir ce trajet. « J’ai fait cette route en coupé 404 décapotable. Le pare-brise n’était même pas en verre Securit et les freins freinaient trop. » Béatrice nous présente son garage : « L’Austin Woody break rouge était à mon père. C’est mon cadeau de mariage. » La Prairie, l’énorme break familial des années 50, c’est Thierry. « Thierry adore les voitures, et moi, je les conduis. À une époque, on avait commencé une collection bois et tôle. » Elles dorment dehors,

Elle est illustratrice
sonore. ”Sound
designer”, comme on
dit en français. Elle
est parisienne si elle
le veut et normande
dès qu'elle le peut.
Béatrice Ardisson a
bien travaillé.
Elle sort ce mois-ci ”Indomania”. Une quinzaine de titres
choisis par elle et
beaux comme un sari.

PAR CONSTANCE CHAILLET

inventé un métier sur mesure, qui me mange tout mon temps: je suis illustrateur sonore. » Officiellement, elle est gérante d’ArdiSong ; officieusement, elle est tout : « Je me garde bien de grandir, Je mesure un mètre cinquante-huit et je veux que ma petite entreprise reste comme moi. » Il y a Carole, Delphine et Leslie – « mes trois "drôles de dames" » –, Thierry Levallois, Olivier Saunier... « J’ai besoin de travailler en bande. » Béatrice a besoin de s’entourer d’images et de gens qu’elle a choisis et qu’elle aime aimer. Elle a des oies, des brebis et des canards sauvages. Des images qui vous massent le coeur. Et puis Béatrice, c’est Thierry, et Thierry,

leurs autos. Des chevaux d’Indien, un peu. Un jour, sur une autoroute, ils ont failli mourir. C’était presque fait, une voiture leur rentrait dedans, et si Béatrice n’avait pas eu le réflexe d’appuyer sur le champignon... Ça les a sauvés. Thierry lui a donné un baiser dont elle m’a parlé souvent. D’habitude, Thierry se contente de lui caresser le cou quand elle conduit. Personne ne l’a su. Leur voiture était dans un sale état. Elle y tient tellement, à sa petite Toyota, qu’elle l’a remise à neuf. Et c’est sa mère qui accompagne maintenant les enfants à l’école avec. Ses parents. « Heureusement qu’ils sont là. » J’entends souvent Béatrice dire ça. Béatrice travaille. Et quand elle ne travaille pas, elle travaille. En novembre, elle sortait un nouveau disque : « Cloclomania ». En février, elle en sortira un, encore plus nouveau : « Indomania » (Naïve/ArdiSong). J’adore Béatrice. Avec elle, rien n’est pénible. La seule chose qu’elle trouve un peu pénible, c’est d’expliquer bien ce qu’elle fait sans en oublier. « Je me suis

Béatrice Ardisson

c’est Béatrice. J’aime bien leur façon d’être ensemble mais pas au même endroit. Il y a beaucoup la voix de Thierry dans le téléphone de Béatrice. Plein de fois par jour. Béatrice a longtemps été une « ombre lumineuse ». L’expression est de Déon. Sauf qu’un jour elle a pris le soleil. « J’avais trente-cinq ans et pas envie de tailler les rosiers en Normandie. » Béatrice et sa bande. Béatrice et ses cousines. Béatrice et Florence Deygas. « Je pense qu’on ne fait rien seul. » En ce moment, elle est sur deux projets pour le cinéma. Vuitton lui a demandé de réaliser le sound design de sa boutique de Roppongi Hill. Elle a choisi la musique du Festival du film de Marrakech, elle s’est occupée du son du Kong, le restaurant qu’a décoré Starck. Et moi, j’adore quand elle commence ses phrases par : « Tu n’en parles pas, hein, parce que c’est secret. » Dominique Desseigne (pdg du Groupe Barrière) souhaiterait qu’elle réfléchisse au son du Fouquet’s. « Je dis sans arrêt depuis cinq ans : ”Demain, ce sera plus calme.” » Quand elle est épuisée, elle dort. Quand elle n’est pas tout à fait encore épuisée, elle va au Mathi’s, le bar où elle doit m’emmener, depuis combien d’années déjà? J’adore Béatrice.

et sa bande originale

 

Madame Figaro du 24/01/2004                                                                    photo Jacques Graf     agrandissement

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