"ELLE" du 13 mai 2002

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BÉATRICE ARDISSON
RÉINVENTE LES TUBES

Elle a commencé dans la mode, elle perce aujourd'hui dans la musique – ou plutôt dans le « sound-design ».
Entre les deux, Béatrice a épousé Thierry Ardisson, il y a vingt ans. C'est en dénichant d'improbables reprises de tubes pour l'émission branchée « Paris Dernière » que Béatrice Ardisson est sortie de l'ombre de son mari. Rencontre.


       Au début, Béatrice Ardisson dénichait une dizaine de chansons par semaine pour "Paris Dernière", l'émission culte et noctambule inventée par son mari. Pour suivre Frédéric Taddeï, le présentateur-réalisateur caméra à l'épaule, de fêtes branchées en bars glauques et de boîtes de nuit réputées en sex-clubs improbables, certains aficionados refusent de sortir ces soirs-là.. L'idée de Béatrice, accompagner ces pérégrinations de reprises si possible inattendues : "I can't get no satisfaction" version bossa-nova, "The Girl from Ipanema" façon boogie, ou encore "Joe le taxi" en hymne techno. En suite, les choses se sont enchaînées. On lui a proposé de mixer dans des soirées, d'en faire des compilations, de concevoir l'ambiance musicale de lieux à la mode... Bref, cette activité en forme de hobby s'est peu à peu muée en un boulot à plein temps, pour elle et les deux personnes qui travaillent désormais à ses côtés dans son agence de "sound design" (comme on doit dire pour être dans le coup). Menue, brune, tonique et sanglée dans un jean de créateur maculé d'eau de Javel, elle nous reçoit dans la cuisine pastel de son appartement parisien grand style, qui se transforme peu à peu en bureau - "C'est aussi celui de Thierry". Le deuxième volume de sa collection de reprises (et non compilation, elle y tient), "Paris Dernière" (Naïve), écoulé comme le précédent à plus de trente mille exemplaires, sort en France avant le Japon et New York. On a du mal à croire que ce métier lui soit tombé dessus par hasard. "Quand mon mari m'a demandé de trouver une idée pour la musique de "Paris Dernière", je me suis souvenue que je trouvais géniales les reprises que passaient parfois Philippe Corti et Nicolas Vincent, lors de la première saison de l'émission. Une idée qu'elle ne va plus lâcher et systématiser. Elle commence par fouiller sa discothèque, celle de son mari, puis ce sont les collaborateurs de l'émission qui apportent les leurs. "Au début, ça avait l'air ringard. Mais, au bout d'un mois, tout le monde apportait ses reprises, Frédéric Taddeï le premier..." Se reposant dans un premier temps sur les standards qui touchent obligatoirement la mémoire collective, sa collection s'est ensuite étoffée grâce à l'apport du public : "Des fous de reprises m'ont envoyé des trucs. J'ai même fait des cartes de membres pour monter un petit club. Je trouve aussi des perles sur Internet... Il existe vraiment des gens spécialisés là-dedans qui les rejouent, les réinterprètent comme en musique classique. "On ne peut pas se contenter de copier une musique, il faut la recréer, comme lorsque Stevie Wonder réarrange totalement "We can work it out" des Beatles". Parmi ses nombreuses découvertes, deux mille sont déjà passées à l'antenne et certaines font même l'objet d'éditions spéciales de "Paris Dernière" comme "Light my fire", des Doors, ou "Walk on by" de Burt Bacharach. Ce métier, elle constate qu'elle se l'est "créé sur mesure". Pour elle, mais pas toute seule : "Si je fais que je fais, c'est en grande partie à cause de Thierry . Il m'a appris une façon de travailler. Naturellement, moi, j'étais un peu dans la lune, pas très organisée, un peu bordélique. Mais j'ai appris, et maintenant, parfois, je travaille plus tard que lui... Et je crois que ça l'énerve un peu." Bref, professionnellement, tout roule. Et on est évidement tenté de se montrer plus indiscret. On commence doucement en lui demandant ce qu'elle voulait faire quand elle était petite : "J'ai été styliste chez Kenzo parce que, comme toutes les petites filles, j'adorais la mode et j'avais fait du dessin aux Beaux-Arts. Mais j'ai arrêté dès que j'ai attendu mon premier enfant. Je suis toujours fan de mode mais ce n'est pas une passion comme la musique. La musique, elle, m'empêche de dormir." Pas seulement les reprises : "Les vieux Gainsbourg et les cha-cha-cha, j'ai toujours adoré ça. J'ai passé beaucoup de soirées au Tango (boîte de nuit où on danse sur des rythmes désuets, ndlr), c'est d'ailleurs là que j'ai rencontré mon mari. Je suis aussi très forte en variété française." 

Son mari, justement. Madame Ardisson commence par démentir les rumeurs malveillantes : "On a tout entendu, qu'on s'était séparés, que je partais vivre en Normandie parce que ça n'allait plus... J'avais tout simplement très envie que mes enfants grandissent à la campagne et je me suis installée là-bas parce que c'était trop loin pour n'être qu'une maison de week-end." Vivre à la campagne n'est d'ailleurs pas forcément synonyme d'isolement social : "Contrairement à ce que les gens imaginent, je sors plus que mon mari. Quand il y a un dîner ou un truc qui m'amuse, je reviens exprès à Paris, et je repars le lendemain Ce mode de vie me va très bien." En Normandie, Béatrice semble avoir trouvé son équilibre. Sa vie y est très organisée avec ses trois enfants et ses parents qui sont sur place : "C'est là que je travaille le mieux, donc, j'essaie toujours d'y passer le début de la semaine." On pourrait penser qu'en contrepartie la vie de couple est plutôt difficile, mais, d'après elle, ce n'est pas le cas : "Quand Thierry ne peut pas venir en Normandie, ce sont les enfants et moi qui venons, on s'est arrangés comme ça. Je suis partie aussi parce qu'on ne peut pas demander à quelqu'un de créatif comme mon mari de s'occuper, en plus de sa journée, de trois mômes qui courent partout. Parce que les miens, ils sont pleins de vie !" Toujours souriante, voire au bord de l'éclat de rire, Béatrice semble trouver une solution à tous les problèmes, à toutes les critiques envisageables. A ceux qui ne voient en sa nouvelle vocation qu'un moyen de combler son ennui, elle répond : "D'abord, à leur place, je penserais comme eux. Mais, quand j'ai commencé à faire la musique de "Paris Dernière", je l'ai fait bénévolement parce que je n'étais pas du tout sûre d'y arriver." La légitimité ne s'acquiert qu'avec le travail. Madame Ardisson fait face aux préjugés avec sérénité. Quand on lui rappelle la phrase assassine de Patrick Besson : "Depuis qu'elle est connue, Thierry Ardisson sort avec sa femme", elle rétorque même avec humour : "Ça pourrait me faire plaisir, parce que ça veut dire que je suis connue maintenant ! Mais non, c'était très méchant. On est toujours beaucoup sortis tous les deux, il se trouve que, maintenant, les gens s'en rendent compte. Avant, on me prenait souvent pour sa maîtresse. Un jour, on déjeunait à L'Avenue (restaurant de l'avenue Montaigne, ndlr) et Thierry a reçu un coup de fil du rédac chef de "Voici" qui lui a dit : "Tu es en train de déjeuner avec une petite brune." Thierry a répondu : "Oui, c'est ma femme, depuis vingt ans." Moi, ça m'a fait hurler de rire, c'est génial d'être "trompée" avec soi-même !" Les amateurs de ragots croustillants seront déçus, mais le couple Ardisson semble mener sa barque aussi bien que d'autres. Leurs modèles : Michèle Morgan et Gérard Oury, qui s'aiment depuis quarante ans sans partager le même appartement. Leur couple repose donc sur l'indépendance et le mépris du train-train : "Thierry, je le vois beaucoup plus et beaucoup mieux que la plupart des gens qui vivent ensemble. Parce que, après vingt ans de mariage, il est toujours très attentionné avec moi, et je tiens à ce que ça reste comme ça. J'ai horreur du quotidien en couple. On est d'accord sur ce point. "Après ces confidences, on a presque oublié la princesse qu'on imaginait au bras du plus royaliste des animateurs télé : "Mon grand-père était militaire mais il votait Vert, ils sont complètement barjos dans la famille, ils aiment bouger, voyager. Je ne supporte pas non plus de rester au même endroit, j'ai ça dans mes veines." La châtelaine donne le mouvement... et la vitesse - ceux qui sont montés en voiture avec elle ne diront pas le contraire. "Je me fous qu'on me traite de bourgeoise. Le seul truc que je revendique, c'est la création, ça, je pense que c'est une vraie noblesse. Et il n'y a que ça qui m'intéresse vraiment." Elle ne devrait donc pas se contenter longtemps de dénicher les reprises des autres. Et elle pourrait même finir par être invitée à "Tout le monde en parle"...

Jacques Braunstein et Gaëlle Rey

Crédit photos :  Sonia Sieff    
(mais oui, la fille de Jean-Loup)
www.soniasieff.com         

 

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